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Le défi renouvelé du travail de mémoire

Pour un dialogue judéo-perse.

Publié le 11 avril 2012 à 09h57, modifié le 11 avril 2012 à 09h57 Temps de Lecture 5 min.

Enfants de la République française, nous sommes inquiets. Nous avons choisi de faire dialoguer les identités juives et perses. Nous avons décidé, réunissant français et iraniens, de lutter ensemble contre le négationnisme. C'est pourquoi, nous interpellons nos dirigeants politiques sur le danger que représentent les entraves au travail de mémoire. Face au négationnisme qu'il faut combattre, nous devons aussi faire le pari de l'humanisme, du savoir et de la pédagogie.

Alors que l'on pourrait croire que la lutte contre le négationnisme est devenue obsolète, force est de constater qu'il n'en est rien. En France, l'enseignement de l'histoire de la Shoah est parfois mis à mal.  Dans des classes, des professeurs menacés renoncent à enseigner l'histoire de la Shoah. Et pour les dirigeants iraniens, le négationnisme est devenu une arme au service de la violence d'Etat.

Certes, il existe un certain nombre de cadres institutionnels et juridiques solides qui nous permettent de mener une réflexion apaisée sur les questions mémorielles. Le drame de l'holocauste a été reconnu et condamné par le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945. En France, il ne peut y avoir de négation de la Shoah impunie grâce à la loi Gayssot, qui sanctionne l'expression publique des idées négationnistes. Chaque geste soutenant ce délit doit être combattu dans les tribunaux comme ailleurs. Et il en est de même dans le combat contre l'oubli des crimes contre l'humanité qui ont eu lieu en Yougoslavie, au Cambodge et lors du génocide des Tutsi au Rwanda sans oublier le génocide des Arméniens, sans oublier celui concernant l'arrestation d'Omar El Bechir qui sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité.

En Pologne, dans la ville Oswiecm, qui a donné son nom au camp d'Auschwitz, le temps grignote la mémoire. Notre venue, avec une délégation franco-iranienne, il y a quelques jours, a embarrassé ses habitants. Pour que la vie reprenne son cours sur ce site et dans ses alentours, certains ont la volonté d'effacer des traces, de limiter l'accès ou d'en réduire la portée. Des maisons toutes neuves jouxtent les limites du camp. Dans son jardin, une grand-mère caresse son chien à deux pas des lieux de pendaison. Comment fait-on pour vivre si proche voire même sur une fosse commune ?

Depuis plusieurs années, pour ne pas incommoder la population qui a construit des maisons sur la route, nous devons nous rendre à pied jusqu'à la Judenramp, menant aux camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau (1,2 millions de morts), stoppés par un sens interdit "sauf aux riverains". Les habitants ont obtenu que les cars ne puissent plus y accéder. C'est sur ce lieu chargé d'une histoire terrible que les déportés juifs ont subi la Sélection et que la très grande majorité d'entre eux ont été envoyés vers les chambres à gaz.

Pourtant, et malgré son importance indiscutable, ce lieu n'a été réintégré au Musée que très récemment mais trop rares sont les visiteurs qui s'y rendent. Le cas est encore plus marquant s'agissant du Bunker 1 qui a été le premier lieu d'extermination systématique par le gaz des Juifs envoyés à Auschwitz-Birkenau. Cette grange, transformée par les SS en chambre à gaz a été rendue à ses propriétaires après la guerre et une nouvelle maison a été édifiée sur les ruines de la chambre à gaz et à proximité des fosses communes utilisées pour la crémation des victimes. Ce n'est que depuis quelques années et grâce au combat de l'historien Marcello Pezzetti et l'intervention de Richard Prasquier que les propriétaires ont accepté de vendre leur maison afin qu'elle soit détruite et qu'une plaque commémorative soit érigée. La route pour s'y rendre est aussi interdite aux cars, aucune indication n'est fournie par le Musée ou la ville et les habitants des maisons voisines veillent à dénoncer toute incursion d'un bus. A croire que dormir et jouer sur une fosse commune ne dérange personne et que la délimiter précisément n'est pas une priorité. Et l'idéologie officielle du Musée d'Auschwitz est de mettre en parallèle les victimes juives et polonaises sans expliquer que tout le mécanisme d'extermination ne concerne que les Juifs et les Tziganes. Ils jouent sur la notion d'extermination directe et indirecte pour atténuer, voire nier, la spécificité du sort réservé aux Juifs et aux Tziganes.

Or, que reste-t-il de la mémoire de la Shoah, si le lieu qui la garde porte en lui les germes de sa négation ? Nous ne voulons plus retourner à Auschwitz pour être indignés ou nous sentir de trop. Le site d'Auschwitz doit être débarrassé des tentatives de banalisation voire d'effacement du lieu de l'extermination tout comme d'un usage politique atténuant la spécificité du sort réservé aux Juifs.

On ne saurait dire à quel point la négation de la Shoah est grave. Le négationnisme est l'ultime moment  de l'effort d'annihilation des Juifs entrepris par les nazis. Non contents de mettre fin à leur vie, ils se sont attachés à effacer toutes traces de leur disparition. La Solution Finale visait à supprimer à tout jamais le peuple juif de la terre et des consciences.

Pour renforcer les cadres institutionnels de préservation de la mémoire et des lieux de mémoire, nous proposons la création d'un Fond Européen qui aurait vocation à garantir la transmission de la mémoire, en protégeant les lieux décisifs et en permettant aux lycéens de l'Union Européenne de visiter les camps de la mort.  Ce n'est pas une dépense, mais un investissement sur l'avenir. Nous permettrons à une nouvelle génération de voir, analyser et comprendre afin de faire barrage à la haine et à ceux qui trahissent la réalité de l'Histoire.

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Aux candidats de se prononcer sur ces sujets durant la campagne électorale. Au prochain Président de la République de porter la question du négationnisme, de la préservation des lieux de mémoire et de l'éducation à l'ordre du jour du prochain G20 et des réunions de l'Union Européenne.

La Shoah ne devint un sujet de préoccupation pour les sociétés occidentales qu'à partir des années soixante-dix. A nous de faire en sorte qu'elle le reste.


Arash Derambarsh et Jonathan Hayounont ont participé du 28 mars au 1er avril à un voyage de la mémoire en Pologne organisé par l'UEJF avec une délégation franco-iranienne.

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